INTERVIEW LOCALTIS

12/04/2019

Q- La loi ASAP promulguée le 7 décembre concerne à nouveau les contrats de la commande publique. Cela vous étonne?

Cette loi «  fourre tout » touche à de nombreux domaines et notamment, donc, aux contrats de la commande publique. Concernant ces derniers, elle est un peu le point d’orgue du vaste mouvement législatif et réglementaire qui a débuté au tout début de la crise économico-sanitaire par l’ordonnance du 25 mars portant diverses mesures d’adaptation des règles applicables aux contrats relevant ou non du code de la commande publique. Depuis, le moins que l’on puisse dire c’est que nos gouvernants se sont intéressés de près à l’achat public, en en faisant un véritable flambeau de la lutte contre les effets de l’épidémie du Covid et de soutien des entreprises et en premier lieu des PME.

Je ne suis donc pas surpris que la loi ASAP en traite de nouveau, au risque de brouiller quelque peu le paysage sur certains points.

Q-Qu’entendez vous par là?

L’exemple le plus frappant est bien entendu celui des seuils. Après les 40.000 euros en début d’année, on s’est retrouvé à 70.000 pour les marchés de travaux en juillet puis, toujours pour ces derniers, à 100.000 avec la loi ASAP, et ce pour une durée de deux années. Sachant qu’entre temps on a eu droit à 100.000 pour les achats de denrées alimentaires- livrés avant le 10 décembre, ce seuil n’étant donc plus applicable aujourd hui- et qu on a toujours ce seuil de 100.000 euros, pendant encore une année, pour les achats innovants…la volonté d ‘assouplissement peut se retourner contre elle et  aller à l’encontre de la visibilité dans un domaine déjà jugé suffisamment obscur par beaucoup…

Q- Mais, toujours s’agissant de son volet commande publique, la loi ASAP ne se contente pas de dispositions sur les seuils?

Oui, elle met en oeuvre d’autres assouplissements, notamment en matière de marchés publics réservés aux structures d’insertion de personnes handicapées ou défavorisées ainsi qu’ aux marchés de services juridiques. Concernant ces derniers, ils n’auront plus à être mis en concurrence lorqu’ils concernent la représentation en justice et les consultations qui y sont attachées; ce qui n’est en l’espèce que la transposition d’une récente jurisprudence européenne.

Par ailleurs, la loi pérennise des mesures de simplification adoptées au coeur de la crise sanitaire pour ce qui concerne l’impossibilité de rejeter la candidature d’une entreprise en redressement judiciaire et du quota minimal de 10% de PME dans les marchés publics globaux.

On peut par contre noter que les mesures fortes mises en oeuvre entre mars et juillet pour faire face à la crise – aménagement des procédures en cours, prolongation des contrats, report des délais d’exécution, protection contre les sanctions contractuelles…- ne sont plus d’actualité. Elles sont donc parties aussi vite qu’elles sont venues, sauf exception comme celles relatives aux avances – décret du 15 octobre dernier qui, entre autres, supprime le plafonnement des avances à 60% du montant du marché-.

Q-Il semble que cette loi ASAP ait considérablement renforcé les marges de manoeuvre des acheteurs publics. Confirmez vous cela?

Je l’entend beaucoup ici et la et je pense hélas que c’est un leurre.

Ce ne sont pas les acheteurs qui se sont vus octroyer de nouvelles souplesses mais les autorités gouvernementales. S’agissant du dispositif de circonstances exceptionnelles, ainsi, l’idée est que, comme au mois de mars dernier, le pouvoir règlementaire puisse assouplir les règles relatives à la passation et à l’exécution des contrats en présence de telles circonstances.

Quant à la fameuse dispense des procédures pour motif d’interêt général, la encore ce ne sera pas l’acheteur qui aura la main mais l’exécutif, l’objectif étant de pouvoir prendre des décrets en Conseil d’Etat afin notamment de pouvoir acheter en urgence et donc sans procédure par exemple dans le domaine des fournitures de santé.

Q- Et 2021?

Espérons d’abord que tout cet arsenal prévu par la loi ASAP n’aura pas à être mis en oeuvre, ce qui ne serait pas bon signe en terme de bonne santé de notre économie…

Sinon, on peut parier que l’achat public ne sera pas oublié l’année prochaine, loin de là, ne serait ce qu’avec l’adoption normalement prévue au printemps de six CCAG, dont certains , comme celui relatif à la maitrise d’oeuvre, totalement nouveaux.

Tout ceci prouve bien le statut acquis par la commande publique depuis maintenant plusieurs années. Elle est aujourd hui devenue un outil essentiel au service des politiques publiques d’intervention dans l économie, les périodes de crises étant toujours à la fois des révélateurs et des amplificateurs de ce type de phénomène.

JMP