LA COMMANDE PUBLIQUE SERA BIEN LE FER DE LANCE DE LA RELANCE ECONOMIQUE
On ne cesse de le répéter, mais le poids des marchés publics et concessions dans notre PIB national est tel qu’il est incontournable de compter sur eux pour assurer les fondements d’une reprise économique tant attendue.
Il faudra pour cela, bien entendu, que les acteurs publics et para publics disposent des moyens tant humains que financiers pour mettre en place des stratégies d’achat efficaces et efficientes.
Il sera aussi necessaire que la règlementation applicable, et en premier lieu le code de la commande publique, donne aux acheteurs un cadre à la fois sécurisé et suffisamment souple pour leur permettre d’utiliser au mieux les outils qu’ils sont censés utiliser pour passer des commandes auprès des opérateurs économiques.
Les derniers textes parus en la matière semblent aller dans ce sens et confortent le role-clé de la commande publique dans le relèvement de secteurs économiques durement touchés par la crise due au Covid 19.
UNE MESURE CHOC
Le moins que l’on puisse dire c’est que le gouvernement, via la DAJ de Bercy, a vite pris les choses en main en adoptant dès le début de la période de confinement l’ordonnance 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats qui n’en relèvent pas. Comme il fallait s’y attendre, les mesures d’exception qu’elle a mis en oeuvre n’ayant pas vocation à perdurer dans le temps, l’ordonnance 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire y a mis fin à compter du 23 juillet prochain; sachant que les mesures relatives aux avances peuvent continuer à etre appliquées aux contrats conclus jusqu’au 10 septembre. A noter d’ailleurs, ainsi que l’a précisé la DAJ depuis, que les autres mesures ( report des délais contractuels, exonération des pénalités de retard…) contenues dans l’ordonnance du 25 mars sont toujours applicables aux contrats souscrits jusqu’au 23 juillet et qui continueront à être exécutés après cette date. Il ne reste qu’à espérer que les choses seront rentrées dans l’ordre d’ici là et que, s’agissant tout particulièrement du secteur du bâtiment et des travaux publics, les opérateurs auront pu retrouver une organisation leur permettant de mener à bien leurs prestations dans un contexte de prévention et protection sanitaire exigeant et contraignant.
Mais la mesure la plus frappante est celle issue du décret….sachant qu’un amendement sur ce thème avait été déposé au Sénat dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions urgentes face à l’épidémie du Covid 19 … amendement finalement rejeté par des Sénateurs estimant que cela relevait du champ de compétence règlementaire…Quoi qu’il en soit, le décret porte en effet le seuil des marchés dispensés de publicité et de concurrence de 40.000 à 100.000 euros, ce qui représente une augmentation conséquente. Rappelons qu’il y à peine 12 ans, ce seuil était de 4000 euros…et qu’il avait d’ailleurs été porté à 20.000 euros par le décret 2008-1356 du 10 décembre 2008 dans le cadre, déjà, d’un plan de relance de l’économie; seuil par la suite descendu à 15000 euros suite à l’annulation du décret par le Conseil d’Etat dans son arrêt PEREZ du 10 février 2010.
La mesure n’est donc en elle même pas nouvelle mais il faut avouer qu’elle frappe par son ampleur. Au delà de l’augmentation mécaniquement importante du nombre de marchés souscrits sans aucune formalité qu’elle va entrainer, elle a d’autres conséquences. D’une part, elle rend moins pertinent le seuil lui aussi de 100.000 euros ht mis en place par le décret 2018-1225 dit de noel du 24 décembre 2018 applicable aux marchés dits innovants ( à moins que ce seuil ne soit relevé dans un futur proche? Pour le moment il semble que l’on reste en l’état), ce d’autant qu’une des justifications du nouveau seuil est justement de faire travailler les entreprises innovantes. D’autre part, elle relève là aussi mécaniquement l’ex seuil de 90.000 euros pour la publicité légale. Nul doute d’ailleurs que la presse tant locale que nationale habilitée à publier des annonces officielles ne prendra pas très bien une telle élévation de seuil, meme si, pour le coup, elle est plutot minime…
COUP DE TONNERRE OU COUP- D’EPEE- DANS L’EAU?
Déja que cela a été le cas en début d’année lorsque le seuil a été porté à 40.000 euros, on peut s’attendre à d’âpres débats entre les tenants d’une souplesse accrue dans les règles de passation des marchés publics et ceux d’une orthodxie stricte dans l’application des règles de publicité et de mise en concurrence dans la droite ligne de l’arret Telaustria de la CJCE- en tout cas de l’interprétation qu’ils en font. Il s’agira comme toujours de trouver un équilibre entre les deux et de se montrer raisonnable dans la mise en oeuvre de ce nouveau seuil. Notons d’ailleurs que, d’une part, la mesure est expérimentale sur trois années, et donc pas gravée dans le marbre; et que, d’autre part, elle est accompagnée par les traditionnels garde-fous que sont le choix d’une offre pertinente répondant au besoin- ce qui vaut pour tous les marchés-, la bonne utilisation des deniers publics-idem- et le fait de ne pas systématiquement contracter avec le meme prestataire lorqu’il existe plusieurs d’offres susceptibles de répondre au besoin; ce qui nécessite dès ce niveau de prestations une connaissance fine du marché- économique cette fois- et donc la mise en place d’un sourcing efficace.
Evidemment, tout est relatif, à commencer par ce montant de 100.000 euros. Il ne sera pas apprécié de la même manière entre une Région, une petite commune, un CHU ou un collège. Meme chose entre une prestation de service intellectuel, des travaux à réaliser sur un batiment ou une infrastructure ou des achats de petit matériel de bureau. Aurait on pu imaginer plusieurs seuils en fonction tant de la taille des acheteurs que de la nature des prestations? Tache complexe, révélatrice de la grande diversité de la commande publique et de ses acteurs.
Ce nouveau seuil de 100.000 euros va t’il vraiment bouleverser la donne en matière de marchés publics? Rappelons d’abord qu’il n’instaure aucune obligation pour les acheteurs. Ils restent en effet toujours libres de mettre en place des procédures plus ou moins formalisées- le fameux degré de publicité adéquat- en dessous de ce seuil, en fonction de critères qu’il leur appartient de définir. Ensuite, passer de 40.000 à 100.000 est il vraiment une révolution, à une heure où les achats se massifient via le developpement de l’intercommunalité, des groupements et des centrales d’achat? Ne devrait on pas le voir plutôt comme une soupape de respiration permettant aux acheteurs, dans le cadre de stratégies clairement définies, d’aller plus vite sur tel ou tel achat urgent, de recourir à l’entreprise de leur choix dont ils ont besoin de la compétence dans un domaine bien particulier, de faire travailler plus souplement les start up se situant sur leur territoire et bénéficier ainsi de leurs solutions innovantes sur un marché donné?
Maintenant oui, il pourra y avoir des dérives et des tentatives d’abuser de cette soupape, par exemple en pratiquant des découpages de prestations pas nécessairement très en phase avec les notions d’unité fonctionnelle ou d’opération de travaux du code de la commande publique. Certains acheteurs en profiteront aussi pour faire appel aux entreprises locales plutôt qu’à celles se situant en dehors de leur territoire. Doit on pour autant leur jeter la pierre? N’est il pas plus sein de la faire dans ce cadre- légal- des 100.000 euros plutôt qu’au travers de cahiers des charges et pseudo-règlements de consultation plus ou moins alambiqués? N’est il pas hypocrite de jeter l’opprobre sur l’élévation du seuil des marchés dispensés de concurrence alors que chacun sait – il suffit de lire ou relire les rapports de Chambres régionales de comptes pour cela ou encore les décisions des tribunaux correctionnels pour délit de favoritisme- que le détournement de la règlementation ne dépend pas d’un seuil mais d’un acte- le plus souvent volontaire, évitons la encore toute hypocrisie- commis par son ou ses auteurs?
Il n’existe bien sur pas d’acheteur public- ni d’opérateur économique- parfait. Mais à une époque où nos entreprises ont besoin d’un souffle nouveau et d’un soutien massif, on doit tenter un pari à la Pascal quant à la bonne utilisation par la grande majorité d’entre eux de cette nouvelle souplesse qui vient de leur être proposée.